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Le journal du Médecin : Ce rôle de chef de service, c'est votre plus beau ?Bouli Lanners : C'est mon rôle le plus dur, et pour plusieurs raisons : l'environnement, d'abord, d'un hôpital ; nous étions cloîtrés dans l'aile désaffectée d'un véritable hôpital pendant des mois. Il y traînait un karma, car cela reste malgré tout un hôpital. Les murs suintaient la souffrance humaine qui s'y est produite. En plus des affects, dans le récit de la série, il s'agit d'un hôpital continuellement sous-financé, dans un environnement - Aulnay-sous-Bois - qui n'est pas très heureux.Je joue un chef de service des urgences, une médecine de guerre, surtout dans des conditions comme celles qui existent à Aulnay. Humainement, se mettre dans la condition de ce que les soignants vivent m'a paru très rude. J'ai du respect pour les gens qui font ce métier parce qu'ils travaillent dans des conditions de travail absolument déplorables au quotidien : il y a la mort, la survie dans une médecine de guerre sous-financée avec très peu de matériel, un personnel exsangue, épuisé après le covid, après des coupes budgétaires qui exigent de faire des choix radicaux - certains hôpitaux ferment le Smur. C'est l'histoire de la troisième saison d'Hippocrate. Pendant que nous tournions, ils ont effectivement fermé le Smur de l'hôpital Robert Ballanger à côté duquel nous tournions, faute de personnel. Ce fut mon quotidien pendant des mois, avec de vrais infirmières urgentistes qui m'accompagnaient, et me racontaient par ailleurs leurs éprouvants récits de vie, ceci afin de vérifier que mon geste technique soit juste. Le réalisateur Thomas Lilti étant médecin lui-même, souhaitait que toute la chorégraphie médicale soit absolument parfaite. Par ailleurs, nous apprenions le jargon médical sur le tas, par coeur, des termes que je ne connais pas. Jouer cette chorégraphie médicale s'est révélé compliqué...Chef de service, c'est un peu comme le réalisateur que vous êtes, il doit tout gérer?De producteur, plutôt : il fait face à toutes sortes de problèmes, tout en restant dans les limites du légal avec lesquelles il flirte souvent, et face à des questions éthiques également. Et puis, il y a la crainte de l'erreur, comment on la porte en soi ensuite, et les conflits internes. C'est un milieu très complexe. Moi qui déteste les hôpitaux et suis hypocondriaque, j'ai vraiment pris sur moi pour interpréter ce rôle. Mais c'est peut-être une des choses les plus essentielles que j'ai faite dans ma vie : parler de ce milieu. Parce que l'hôpital, on va tous y aller et on y est tous égaux. Il est donc important de dénoncer l'effondrement du système sanitaire qui s'est amorcé avec le covid, car nous sommes dans le continuum de cette période. Mais la série ne se résume pas à cela, elle est constituée d'histoires humaines que l'on suit et dont a envie de connaître la suite.Le fait d'avoir vous-même subi une grosse intervention n'a pas suscité de rejet de votre part ?Non, mais je me suis trouvé en situation de stress pendant le tournage au cours d'une séquence qui s'est révélée atroce pour moi : je devais défibriller une personne victime d'une fibrillation ventriculaire et la "choquer". C'était très compliqué à réaliser, j'étais tellement fatigué par les heures supplémentaires de tournage que j'ai fait une crise de fibrillation auriculaire - on n'a pas arrêté le tournage pour autant. J'ai donc tourné toute la scène pendant deux heures, à défibriller. Et pendant que je vivais cette crise, j'ai cru que j'allais mourir... dans une étrange mise en abîme.Car vous êtes vous-même sujet à des troubles cardiaques...J'ai subi une ablation de la fibrillation auriculaire. Ce fut le pire moment de toute ma vie de comédien. Mais cette scène est magnifique parce qu'on voit bien sur mon visage que la mort est là. Thomas me faisait des ECG juste à côté pour voir où en était mon coeur. Car nous étions dans un hôpital et le matériel avec lequel nous travaillions était authentique. J'avais mon infirmière urgentiste près de moi, qui me faisait un ECG toutes les demi-heures pour voir comment évoluaient ma tension, mon pouls et le reste. Et j'ai pris des anticoagulants.Vous préférez jouer un psy, un urgentiste, un généraliste, un oncologue ?J'ai joué ce rôle de médecin dans " Réparer les vivants ", " Adieu les cons "... Je ne sais pas pourquoi, mais on me trouve une tête de médecin alors que je n'y connais rien du tout. Mais là, c'est terminé. Quel que soit le médecin que je pourrais interpréter, ce ne sera plus jamais aussi fort qu'Hippocrate.Vous êtres hypocondriaque, la vue du sang vous fait défaillir ?Non. Au contraire. Autant j'ai peur des maladies, plutôt des virus et des bactéries, autant quand il y a un accident, comme j'ai mon brevet de secouriste, je suis le premier à aller voir, à me rendre sur le front. Le sang, les boyaux ne me dérangent pas. Au contraire, je suis très réactif par rapport à cela et j'oublie mes peurs. Je suis vraiment dans le concret, comme un chef des urgences, en fait. Je me sentais d'ailleurs plus à l'aise en chef des urgences que si j'avais été oncologue, par exemple.Avez-vous un exemple de médecin en tête quand vous jouez ce rôle ?Non, mais j'ai une amie, Catherine Monami, qui est chef des urgences à la Citadelle à Liège et qui a beaucoup de recul sur son métier. Même dans les situations de crise les plus extrêmes, elle arrive à y mettre un peu d'humour. Elle réalise des prouesses improbables avec un recul et un professionnalisme qui, à chaque fois, m'épatent.